Cher Hatt,
C'est toujours un plaisir de te lire Hatt...et instructif. J'ai du reste écrit (comme toi un roman...rire) après avoir lu tes lignes en réponse à une présentation de membre de Jbm, qui parle religion et pense que la prière est la seule voie de rémission (en tous cas pour lui c'est la meilleure, ça lui a réussi et il convie tous les dépendants à faire de même.) J'ai appris beaucoup en te lisant et encore une fois, j'en profite pour te remercier. Quand je dis que la plus belle des relations qu'on puisse avoir c'est celle qu'on entretien avec soi-même, il n'y a rien là de pessimiste, au contraire, c'est pas restrictif non plus. Je crois même que l'amour de soi est ce qui manque le plus aux dépendants et co-dépendants.
Alain Soral dans "Sociologie du dragueur" aux Editions Bibliothèque Blanche, Paris 2004. Je vous recommande ce livre. Un extrait : Le postulat de départ du problème des deux parties en présence, (dépendants et co-dépendants) semble être le rapport à la mère, la mauvaise mère... il y en a 3 types : la mère faible, l'indifférente, l'abandonneuse, "Trois catégories canoniques qui peuvent bien sûr être combinées, modifiées et compliquées par d'autres intervenants tels que : le père, le beau-père, la belle-mère, les sœurs, les frères, voire les animaux domestiques. Mais quels que soient son profil exact, ses mobiles et ses excuses, (ce n'est ni le rôle, ni dans les moyens de l'enfant d'excuser sa mère de ne pas en être une) la mauvaise mère se reconnaît à ce quelque chose de trouble, de louche et de pervers dans la relation qu'elle a créée avec l'enfant. Relation qui tient du manque et du manquement et qui de toute façon ne sent pas l'amour. [i]Comment une personne pourrait-elle aimer celui(le) que sa propre mère n'a pas aimé? Comment aimer soi-même ce que sa propre mère n'aimait pas? (Dixit : Alain Soral)[/i]
L'amour de soi est à mon humble avis au centre du problème de la dépendance et de la co-dépendance. Dans un couple il n'y a jamais d'équilibre parfait, il y en a toujours un qui aime plus que l'autre, et parfois les rôles s'inversent, ce qui crée un rapport du genre dealer à drogué : j'ai besoin d'amour et j'en demande ; de l'autre bord il y a le pourvoyeur d'amour, qui deal son précieux bien. Et souvent dans le couple, les rôles s'inversent. Je ressens très fort ce genre de rapport, je me suis reconnu dans les deux rôles, celui du drogué en demande d'amour et celui qui est en position de force car il vit la relation assez détaché et est moins amoureux que sa partenaire. Je n'en fait pas une généralité mais dans mon cas, s'aimer soi-même représente le premier pas primordial pour vivre et arrêter de penser que l'autre va m'apporter ce dont je suis incapable de me donner.
Celui(le) qui s'aime ne se culpabilise pas, n'utilise pas la volonté pour se brider car il n'y a rien à brider, il ne se juge pas si défavorablement qu'il se sente coupable de quoi que ce soit. Il s'accepte.
Celui(le) qui ne s'aime pas se juge en permanence et utilise sa mémoire (dans laquelle est écrit toutes les règles morales qu'il ne peut transgresser, un peu comme un livre de la loi contenant tous les articles qu'il est sensé suivre. A chaque fois que nous transgressons une de ces règles, le Juge, qui fait très bien son boulot, rend une sentence de culpabilité et la victime est punie…tu connais la suite.) Il ne s'accepte pas.
Nous, les occidentaux, sommes peu conscient qu'un Juge et une victime habitent notre mental en permanence. Le Juge et la Victime sont pourtant deux entités bien vivantes qui créent en nous un véritable cauchemar. Néanmoins dans les temps anciens, ces entités étaient reconnues pour ce qu'elles sont et on enseignait (c'était la tâche des shamans toltèques) comment les démasquer et s'en débarrasser par l'amour de soi, et en acceptant de passer un accord tout simple : que ma parole soie impeccable ; c'est par la parole qu'on se fait du tord et qu'on fait du tord aux autres. Ne jamais utiliser sa parole, même par le dialogue intérieur, contre soi-même ou contre les autres.
Je pense aussi que tu dis vrai quand tu parles de la co-dépendance et de la dépendance aux dépendants. En thérapie j'avais soulevé ce point important à mes yeux car justement je ne voyais pas de hasard à tomber sur un cas extrême (et maintenant ça fait deux cas extrêmes donc je me sens interpellé au plus profond.) Mais c'est un peu plus compliqué que cela en fait. C'est peut-être bien justement ce feeling dont tu parles et qui attire à soi les dépendants mais ça marche dans les deux sens : le dépendant peut aussi se sentir attiré vers une personnes qui peut les aimer par le coeur et pas que par le sexe. La psychologue m'avait démonté en soulignant tous les aspects de ma vie qui allaient justement dans le sens contraire de la co-dépendance dont je pense souffrir, (je tends vers une vie normale, travailler, s'occuper des enfants, une vie régulière et stable au fait. Je ne me sens pas inférieur) elle me dit que j'attire les tracas parce que je suis un "grand coeur" et que je vole volontiers au secours des personnes que je rencontre et qui ont un problème que je suis à même de soigner ou que je peux diriger sur un thérapeute. Dans les faits j'ai aidé pas mal de gens qui n'étaient pas des dépendants, loin de là. La psy me disait que j'aide très naturellement et sans en attendre un quelconque remerciement ou gratification. Ca m'avait beaucoup touché parce que moi j'y vois comme une contrainte, j'ai pas trop le choix, ma vie est souvent au service des autres et des fois j'aimerais mieux ne pas avoir les clés de ces serrures-la. Et puis cette immense compassion qui me bouffe tout entier et que je ne peux ignorer tant elle me semble imposée par mon cœur. Bref faut pas ergoter, je me sais atteint même si je réagis très différemment maintenant car je suis assez fort pour exiger la séparation, être assez dur et sentir que je me détache du problème...que je m'éloigne en ressentant une joie pour ce que me réserve la vie en dehors des souffrances de la relation avec un dépendant. J'ai une formation de thérapeute justement, musicothérapeute, mais je n'ai exercé qu'avec des psychotiques profonds, des autistes et des trisomiques. Et dans mon cas ça m'a piégé de vivre et d'essayer de sauver ma relation par une analyse du problème de la dépendance sexuelle. Je suis le partenaire, pas le thérapeute. Au sujet de la perversion c'est très simple : le manque conduit à tout, y compris la perversion. Mais ce n'est pas une perversion pathologique comme on en trouve chez un sérial killer par exemple. Ce n'est pas la jouissance de faire le mal et de prendre son pied en regardant la personne souffrir (bien que cela existe aussi, par pur plaisir de faire mal parce qu'on a eu mal étant gosse). C'est plutôt les retombées, par l'occultation volontaire, de la conduite qui a mené à sacrifier l'autre afin de satisfaire aux exigence de la compulsion. C'est de plonger l'autre dans des problèmes graves en s'en foutant des conséquences ; une perversion indirecte si ça existe ? Une chose m'a frappé : bien des addict (et pas seulement des sex-addict) ont subis des abus sexuels dans l'enfance, ce qui contribue à une forme de perversion par la suite.