Etape 4, honte et culpabilité
Hatt @ 26-02-2012 21:02:26

Je pense avoir compris un truc intéressant, en lisant un bouquin : "Mindfulness and the twelve steps" par Thérèse Jacobs-Stewart. Je trouve que le livre est vraiment bien fait. L'auteur raconte son expérience personnelle et comment elle s'en est sortie. Il y a une bonne description de chacune des douze étapes avec des explications sur la philosophie de la méditation et comment ça peut aider à s'en sortir. En fait, plus elle en raconte sur le bouddhisme, plus on a l'impression que toute la philosophie bouddhiste ne vise qu'à se détacher des dépendances. Donc pas seulement pour les dépendants, mais pour les gens normaux qui souffrent des mêmes problèmes à des degrés moindres. Parfois le style d'écriture est un peu kitsch, mais je trouve que le contenu est riche et intéressant. Enfin, dans le bouquin il y a une description assez intéressante de l'étape 4. L'étape 4 consiste à rechercher quels sont nos "défauts", à nous remettre en question. A chercher ce qu'on fait ou pense et qui nous pousse vers la dépendance. (si j'ai bien compris). Le chapitre du bouquin commence par une description de la honte ressentie par les dépendants. Et pas seulement la honte d'être dépendant, mais surtout la honte qui cause la dépendance : la honte d'être une personne dont on croit qu'elle ne peut être aimée, la honte d'être mauvais etc... (évidemment ce sont de fausses croyances que nous transmettent nos parents d'une manière ou d'une autre, dépendants eux aussi bien souvent). Et cette honte est un gros obstacle pour arriver à reconnaître nos torts dans l'histoire. Mais c'est surtout ce truc sur la honte que je trouve vachement intéressant. Je me rend compte en me regardant moi et en regardant d'autres dépendants que je connais qu'on a tous ça en commun. On voit de la honte partout. Les dépendants que je connais se sentent relativement facilement agressés. Quand on leur parle d'eux, ils entendent souvent ça comme des critiques, comme si on leur disait qu'ils étaient des mauvaises personnes, que nous on est mieux qu'eux etc....  Enfin, je connais des gens dans la vie de tous les jours à qui j'ai parlé des dépendances et qui se sentaient immédiatement agressés. Et même si je leur disais que je ne leur faisait aucun reproche, le message ne passait pas, ils continuaient de réagir comme si je les critiquais, du genre "oui et alors ? toi tu le fais bien non ?" ou bien "et alors toi tu fais bien ça, c'est pas mieux", et ils se mettaient à me critiquer, comme pour se défendre de quelque chose alors que je pensais pas du tout les attaquer. Et je me rend compte que tout ça c'est lié à la honte. Plus on a honte nous même, plus on est enclins à croire que les autres nous agressent, nous jugent, nous critiquent. Au fond c'est parce que nous on se critique, c'est nous qui avons une mauvaise image de nous même, c'est nous qui pensons quelque part "être des merdes" et qui voyons ça dans le regard des autres. Enfin, c'est pour ça que je suis toujours à l'affut de ce que pense mon boss, que je crois toujours qu'il pense du mal de moi, etc... L'autre jour je jouais de la musique, d'un instrument dont j'ai pas joué depuis longtemps, et je me suis rappelé à quel point j'étais mauvais (enfin, je suis débutant quoi). Et toutes les 10 secondes j'étais obligé de m'arrêter de jouer parce que je repensais à un épisode de ma vie où j'ai senti qu'on me jugeait, qu'on critiquait le fait que je joue mal. Je pense que c'était vrai qu'on me jugeait, j'avais remarqué des regards, des sourires, etc... mais j'en ai fait une montagne. Et donc impossible de me concentrer, je faisais que de penser à ça, je me disais "mais ils sont vraiment chiant les gens à toujours vouloir chercher la performance, à toujours vouloir évaluer les gens, tout le monde est débutant un jour, c'est normal, foutez-moi la paix". Et là je me suis demandé "mais pourquoi je pense à ça maintenant, je suis tout seul, il n'y a personne qui me juge là". Et en fait ça n'était que moi qui me jugeais tout seul. Je reproche aux autres de toujours tout juger, mais c'est moi qui fait une fixation dessus, si je pensais à ça à cet instant c'était justement parce que je me jugeais moi, parce qu'il y avait une honte qui venait de moi-même, et cet énervement contre les autres c'était avant tout un énervement contre la honte que je me créais tout seul. Enfin, c'est cette "auto-honte" contre laquelle je m'énervais, et je reprochais les autres d'en être la cause, comme pour mieux m'en protéger. Mais je ne suis pas plus critiqué que les autres dans la vie de tous les jours, c'est simplement moi qui ait facilement honte de tout. Et je pense que beaucoup de dépendants doivent faire ça, et que c'est pour ça qu'ils peuvent se sentir agressés, parce que tout ce qu'on leur dit peut facilement réveiller leur honte. Enfin, en gros, c'est eux (enfin nous) qui voient la honte et l'agression partout, alors que la honte et l'agression elle vient d'eux mêmes, de leur enfance. Ma copine est très susceptible quand je parle de dépendances. Elle croit tout de suite que je la critique. D'ailleurs elle se sent toujours critiqué par beaucoup de gens et il lui arrive de ruminer facilement les critiques qu'elle a entendu. Et elle a eu une enfance assez particulière dans un milieu très religieux avec un pasteur qui leur disait tous les jours qu'ils étaient des pêcheurs, qu'ils étaient mauvais, qu'il devaient se repentir. Elle a passé toute son enfance à croire qu'elle était absolument mauvaise. (D'ailleurs ils ont découvert plus tard que le pasteur en question couchait avec sa servante, je pense qu'il avait lui même très honte de beaucoup de choses et que c'est cette honte qui lui faisait tellement avoir peur du pêché. Je pense qu'il voulait compenser sa honte. Enfin, comme tous les dépendants. Tous les dépendants veulent "compenser" un problème au lieu de le résoudre). De façon générale, les dépendants n'ont souvent pas eu assez d'amour de la part d'un ou des deux parents. Ils peuvent ressentir qu'ils ont un problème, qu'il ne sont pas aimables etc... ou encore, si simplement leurs parents étaient plutôt préoccupés par leur problème (par exemple la dépendance) et ne s'occupaient pas assez d'eux. Les parents étaient peut être trop centrés sur leurs propres angoisses et leur propres plaisirs.Enfin bon. Et cette honte nous fait aussi rentrer dans des mauvaises manières de voir le problème. J'avais parlé de procrastination à quelqu'un, en disant que c'était une dépendance. Et je soupçonnait fortement cette personne d'être victime elle aussi de procrastination. Et il m'a dit que "appeler ça une dépendance c'est juste une excuse pour ne rien faire, pour dire que c'est pas de notre faute et rester "dans la merde", mais la vraie solution c'est simplement de "se sortir les doigts du cul" ". (expression imagée et peu appétissante qui, je le précise au cas où elle n'est pas partagée par nos amis québecois signifie "se faire violence", ou encore "se réveiller et se bouger"). Et je pense que c'était sa propre culpabilité qui lui faisait croire que c'est par la violence contre soi-même qu'on peut résoudre ces problèmes. Les parents de dépendants ont certainement souvent la même logique. Ma mère l'avait en tout cas. La logique du coup de pied au cul plutôt que de la compassion. Et ça ne marche pas, la preuve en est que leurs enfants sont dépendants. Ca serait peut être justement la cause de la dépendance, donner des coups de pieds au cul à la place de l'amour ça aide pas trop à se développer ni à résoudre ses problèmes. Et on apprend cette logique de nos parents et ensuite on se l'applique à nous mêmes. Et c'est pour ça qu'on reste au fond du trou, qu'on se déteste. A force de se foutre des coups de pieds au cul. Enfin, je dis ça parce que souvent sur ce forum on entend parler de coups de pieds au cul, de "vaincre la bête" etc... et je pense que c'est pas par la violence qu'on peut résoudre les problèmes. Les problèmes viennent justement de cette violence et de ce manque d'amour. Rester dans cette logique c'est dangereux pour soi même et aussi pour ses enfants, qu'on le veuille ou non.  L'autre gros problème de la honte c'est que c'est elle qui peut nous faire rester dans le déni. Quelqu'un qui a le profil du dépendant (qui baigne dans sa honte et la culpabilité, qui croit être mauvais...etc...) au bout d'un moment, il en a marre de ressentir cette honte, d'avoir l'impression de sans cesse être critiqué (enfin, au début un dépendant dira qu'il en a marre d'être critiqué tout court, parce qu'il ne sait pas que le problème de la honte est en lui et pas chez les autres, il ne sait pas que ça n'est qu'une impression, que c'est en fait lui qui amplifie tout). Et donc il arrive un moment où il veut dire stop à cette honte et il essaye de s'affirmer dans ses choix. Par exemple, si on vient dire à un héroïnomane qu'il se fait du mal à lui même, qu'on essaye de le faire changer, si il n'a pas encore trop de problèmes liés à sa toxicomanie, il va se braquer et dire qu'il en a marre que cette société veuillent faire culpabiliser les gens pour tout, que la société soit paternaliste et veuille tout décider à notre place. De la même manière, si une femme vient dire à son mari qu'elle n'aime pas qu'il regarde du porno, ou si elle lui reproche de la tromper, il va se braquer et dire qu'il y en a marre de cette société bien pensante qui veut nous faire culpabiliser, qu'il y en a marre de de ces "doctrines de cathos", ou quelque chose comme ça, et qu'il y en a marre que tout le monde dise qu'il est mauvais (edit du 18-mar-2012 : pour les "doctrines de cathos" évidemment je paraphrase, ça n'est pas de moi, mais ce sont des choses que j'ai déjà entendu à mon encontre). Alors il décide de s'affirmer dans ce qu'il est. Il décide de faire un choix de vie. Et tout ce qui viendra essayer de le changer, il le verra comme une agression, comme quelque chose qui veut forcément le faire culpabiliser. Et lui il ne culpabilise pas forcément à cause de sa dépendance, mais il en a trop marre de la culpabilité et il veut s'affirmer contre elle. Le problème c'est qu'il s'affirme dans la mauvaise direction. Quand j'ai parlé de procrastination à ma copine, elle m'a dit que elle, elle regarde des vidéos sur youtube en même temps qu'elle bosse au boulot, mais elle dit que "c'est sa manière de travailler" et "qu'elle compte pas en changer". C'est une manière de dire "non, on m'a trop fait culpabiliser jusqu'à maintenant, aujourd'hui c'est finit". Mais le problème c'est que c'est pas par culpabilité qu'il faut changer, mais par pragmatisme, parce qu'on se fait souffrir. Et c'est pour ça que la honte est un gros obstacle au changement. Je connais aussi une personne qui est dépendante affective et qui veut continuer à sortir avec des personnes déjà en couple (qui plus est, quasi exclusivement des gens souffrant de dépendances), et si je lui dit que c'est certainement un problème et que ça entretient ses problèmes et sa souffrance, (parce que cette personne souffre beaucoup en ce moment),il le prend un peu comme si je lui reprochais quelque chose d'immoral, comme si je cherchais à le faire culpabiliser. Il pense que c'est par puritanisme que je dis ça. Et pour lui, il défend des valeurs et il croit que c'est la société puritaine qui veut lui "laver le cerveau" en quelque sorte et le faire culpabiliser de sortir avec des personnes déjà en couple. En gros, il se veut un peu défenseur de la liberté face à une société culpabilisante. Et tout ça je pense que c'est à cause de la honte qu'on a en nous qui nous fait voir la culpabilité partout. Après, on vit dans une société qui fonctionne sur les dépendances et qui adopte tout à fait la logique de la dépendance (compensation de la souffrance par le plaisir, recherche permanente du plaisir éternel, croire qu'il est anormal de souffrir, voir en chaque plaisir immédiat la solution à tous les problèmes et être surpris de souffrir à nouveau quand le plaisir est passé... etc....). Et en temps que société dépendante, c'est vrai qu'elle marche beaucoup à la culpabilité, tout comme les parents de dépendants. C'est pour ça que la société essaye de nous détourner des drogues par la culpabilité. Il suffit de voir la campagne "tu t'es vu quand t'as bu?" . On croit qu'on peut résoudre le problème de la drogue en se contentant de les interdire et de punir leur usage. C'est toujours la stratégie du coup de pied au cul et c'est vrai que ça aide pas du tout. Il y a un bon chapitre là dessus dans le bouquin "Willpower is not enough : recovering from addictions of every kind" par Washton et Boundy, des trucs sur le rôle de la société dans les addictions.Enfin voilà, j'étais content d'apprendre ces trucs et j'espère que ça peut servir à des gens. Je pense que c'est très important de comprendre le rôle de la honte dans le déni, surtout pour les codépendants qui veulent faire comprendre leur problème à leur conjoint. C'est à cause d'une culpabilité (de façon générale, pas forcément sur la dépendance) que les dépendants dans le déni sont braqués et ne veulent plus rien entendre. Et je pense qu'il ne faut surtout pas utiliser la culpabilité pour leur faire prendre conscience de leur problème, où ils se braqueront encore plus. Je pense qu'il faut être pragmatique et bien faire comprendre qu'il ne s'agit pas de morale, par exemple, mais bien de souffrance et de dépendances. Et c'est aussi très important pour l'étape 4, pour reconnaître nos défauts et nos erreurs et accepter de changer sans rester bloqué. Comme la stratégie du dépendant c'est de tout compenser, on peut compenser notre manque d'amour propre par de la fierté exagérée sur d'autres sujets. Et cette fierté peut nous faire rester accrochés à des choses et nous empêcher de changer. Il faut arriver à reconnaître que de lâcher cette fierté ne nous fera pas sombrer dans la honte. Il faut reconnaître qu'on peut avoir de la valeur sans être excessivement fier. Moi je sais que j'ai toujours aimé mon côté original, et que j'y suis assez attaché, je me trouve un peu "exceptionnel", et il faut que j'arrive à lâcher ce sentiment, que j'accepte que je suis normal et que ça n'est pas quelque chose de négatif. Se sentir inférieur aux autres comme se sentir supérieur aux autres sur certains aspects, ça ne fait que nous éloigner des autres, nous sentir différents et nous couper du monde. Et à la fin il ne reste plus que nous et notre dépendance.
===============================================================================================================================================
Re: Etape 4, honte et culpabilité
mauditzob69 @ 27-02-2012 15:02:42

salut j'avais fait un topic's apelé cul pabilité,j'ai pas retrouvé mais j'y expliquer beaucoup de chose similaire a ce que tu dis(mais en plus condensé ahaha).Notre société nous fait comprendre que nous sommes en compétition,au boulot,ta femme,tes amis,et à toi méme,pour te montrer que tu es capable; les gosses peut etre y pensent que tu es le meilleur mais jusqu'à un certain age,après y dise que tu es très con!et on en revient à l'ego,beaucoup de chose autour de lui,car il pourrit nos relations avec les autres,enfin c'est mon sentiment,dans tous mes amis,j'en ai aucun qui va se confier et parler de ces problèmes qu'ils ont au fond d'eux,peur d'etre juger,de perdre la face sur ce qu'il prétend etre,ou qu'on utilise cette faiblesse contre eux...on joue tous,pour certain surjouer,au point qu'on se perd nous méme,etre en situation de force avec l'entourage,tu finis par reproduire la méme chose avec ta femme,tes  amis ou méme des personnes qui n'ont aucune hostilité contre toi(méme si pour moi y en a très peu).<p>Ce que tu décris Hatt c'est l'ego,si chacun travailler dessus ce serait le bonheur,car il est terrible,revient sans cesse,et très similaire aux caractéristique de notre addiction!(il revient très souvent dans le boudhisme)travailler sur son égo c'est très difficile mais tu arrive a le mettre de coté c'est que du bonheur
===============================================================================================================================================
Re: Etape 4, honte et culpabilité
Hatt @ 28-02-2012 01:02:15

Ouais, je sais pas. L'égo pour moi c'est synonyme de fierté, mais je peux me tromper sur le vocabulaire. Pour moi, avoir honte n'est pas forcément synonyme d'être blessé dans sa fierté. On peut très bien avoir honte sans avoir aucune fierté à blesser. On peut très bien avoir une très mauvaise image de nous mêmes. Enfin, dans le cas des dépendants je dirais que tout commence par la honte et qu'ensuite on rajoute de la fierté par dessus pour compenser le problème.(c'est un peu comme de vouloir verser de la soude sur une brûlure à l'acide - au lieu de s'annuler les deux te crament encore plus). Mais peut être que je me trompe sur la définition d'égo. 
===============================================================================================================================================