Dépendance sexuelle

Version complète : Texte d'enfance inspirant
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Dans les tonnes de livres de poche que je ne peux pas jeter parce qu'ils ont été de toutes mes cabanes, et de toutes mes vacances,il y a celui-ci. Peut-être que si mon adolescence avait pris ce livre plus souvent que le clavier,a vie aurait été différente.
Je vous  laisse seuls juges, je trouve ça délicieux et édifiant:

"Pendant les heures les plus chaudes de l’été, les sangliers et leurs cousins d’Amérique du Sud, les pécaris, ont l’habitude de s’enfouir le corps dans certains marécages de la forêt. Ils battent l’eau du marécage avec leurs pattes jusqu’à ce qu’elle forme une sorte de boue très liquide, puis ils s’y enfoncent en ne laissant passer que leur tête, et se trouvent ainsi à l’abri de la chaleur et des moustiques.


Découragé par l’échec de L’Évasion, Robinson avait eu l’occasion de suivre un jour un troupeau de pécaris qu’il avait vus s’enfouir ainsi dans leur souille. Il était si triste et si fatigué qu’il avait eu envie de faire comme ces animaux. Il avait enlevé ses vêtements, et il s’était laissé glisser dans la boue fraîche, en ne laissant passer à la surface que son nez, ses yeux et sa bouche. Il passait des journées entières, couché ainsi au milieu des lentilles d’eau, des nénuphars et des oeufs de grenouilles. Les gaz qui se dégageaient de l’eau croupie lui troublaient l’esprit.


Parfois il se croyait encore dans sa famille à York, il entendait les voix de sa femme et de ses enfants. Ou bien il s’imaginait être un petit bébé dans un berceau, et il prenait les arbres que le vent agitait au-dessus de sa tête pour des grandes personnes penchées sur lui.


Quand il s’arrachait le soir à la boue tiède, la tête lui tournait. Il ne pouvait plus marcher qu’à quatre pattes, et il mangeait n’importe quoi le nez au sol, comme un cochon. Il ne se lavait jamais, et une croûte de terre et de crasse séchées le couvrait des pieds à la tête.


Un jour qu’il broutait une touffe de cresson dans une mare, il crut entendre de la musique. C’était comme une symphonie du ciel, des voix d’anges accompagnées par des accords de harpe. Robinson pensa qu’il était mort et qu’il entendait la musique du paradis. Mais en levant les yeux, il vit pointer une voile blanche à l’est de l’horizon. Il se précipita jusqu’au chantier de L’Évasion où traînaient ses outils et où il retrouva son briquet. Puis il courut vers l’eucalyptus creux, enflamma un fagot de branches sèches, et le poussa dans la gueule qu’ouvrait le tronc au ras du sol. Un torrent de fumée âcre en sortit aussitôt, mais le feu parut tarder à prendre.


D’ailleurs à quoi bon ? Le navire se dirigeait droit sur l’île. Bientôt il allait jeter l’ancre à proximité de la plage, et une chaloupe allait s’en détacher. Avec des rires de fou, Robinson courait en tous sens à la recherche d’un pantalon et d’une chemise qu’il finit par retrouver sous la coque de L’Évasion. Puis il courut vers la plage, tout en se griffant le visage pour démêler la barbe et les cheveux qui lui faisaient un masque de bête. Le navire était tout près maintenant, et Robinson le voyait distinctement incliner gracieusement toute sa voilure vers les vagues crêtées d’écume. C’était un de ces galions espagnols qui rapportaient autrefois, à travers l’Océan, l’or, l’argent et les gemmes du Mexique.


À mesure qu’il approchait, Robinson distinguait une foule brillante sur le pont. Une fête paraissait se dérouler à bord. La musique provenait d’un petit orchestre et d’un choeur d’enfants en robes blanches groupés sur le gaillard d’arrière. Des couples dansaient noblement autour d’une table chargée de vaisselle d’or et de cristal. Personne ne paraissait voir le naufragé, ni même le rivage que le navire longeait maintenant après avoir viré de bord.


Robinson le suivait en courant sur la plage. Il hurlait, agitait les bras, s’arrêtait pour ramasser des galets qu’il lançait dans sa direction. Il tomba, se releva, tomba encore. Le galion arrivait maintenant au bout de la plage où commençait une région de dunes de sable. Robinson se jeta à l’eau et nagea de toutes ses forces vers le navire dont il ne voyait plus que le château arrière drapé de brocart.


À l’une des fenêtres pratiquées dans l’encorbellement, une jeune fille était accoudée et souriait tristement vers lui. Robinson connaissait cette enfant, il en était sûr. Mais qui, qui était-ce ? Il ouvrit la bouche pour l’appeler. L’eau salée envahit sa gorge. Ses yeux ne virent plus que de l’eau verte où fuyait une petite raie à reculons…


Une colonne de flamme le tira de son évanouissement. Comme il avait froid ! Là-haut, sur la falaise, l’eucalyptus flambait comme une torche dans la nuit. Robinson se dirigea en titubant vers cette source de lumière et de chaleur.


Il passa le reste de la nuit recroquevillé dans les herbes, le visage tourné vers le tronc incandescent, et il se rapprochait du foyer à mesure que sa chaleur diminuait.


Vers les premières heures de l’aube, il parvint enfin à identifier la jeune fille du galion. C’était sa propre soeur, Lucy, morte plusieurs années avant son départ.


Ainsi ce bateau, ce galion – type de navire qui avait d’ailleurs disparu des mers depuis plus de deux siècles – n’existait pas. C’était une hallucination, un produit de son cerveau malade.


Robinson comprit enfin que les bains dans la souille et toute cette vie paresseuse qu’il menait étaient en train de le rendre fou. Le galion imaginaire était un sérieux avertissement. Il fallait se ressaisir, travailler, prendre son propre destin en main.


Il tourna le dos à la mer qui lui avait fait tant de mal en le fascinant depuis son arrivée sur l’île, et il se dirigea vers la forêt et le massif rocheux. "

Rsll
"Robinson où les limbes du Pacifique" de Michel Tournier. 
C'est ça ?
Tout à fait!
Paradoxalement quand j'étais gamin j'aimais me planquer dans un tout petit coin pendant des heures, avec juste un coin pour voir autour.
Aujourd'hui encore j'aime couper tout mes sens pour me créer une bulle.
Et si un paliatif à l'effet anesthésiant de la masturbation etait de se couper de tout pendant un moment de la journée?
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