15-03-2014, 00:11
David et Angelina: l'habituelle énergie de la colère.
Par Thich Nath Hanh
Voici l’histoire d’un jeune homme prénommé David, très beau et intelligent, né dans une famille riche, qui avait tout pour réussir. Mais il n’aimait pas la vie. Il était incapable d’être heureux. Il avait beaucoup de problèmes avec ses parents, avec ses frères et sa sœur. Il ne savait pas communiquer. C’était un être très égoïste, et il accusait son père, sa mère, sa sœur et ses frères d’être responsables de son malheur. Il souffrait beaucoup, mais sa douleur n’était pas due à l’hostilité des autres. Elle était le fruit de son incapacité d’aimer et de comprendre autrui. Il pouvait nouer des relations amicales pendant quelques jours, mais ses nouvelles connaissances l’abandonnaient bientôt parce qu’il était invivable. Il était très arrogant, égocentrique et dénué de compréhension et de compassion.
Un jour, il se rendit dans un temple bouddhiste, non pour écouter un discours sur le Dharma – c’était le dernier de ses soucis - mais dans l’espoir de faire de nouvelles rencontres, car il se sentait désespérément seul. Jusque-là, personne n’avait pu rester son ami. Il était riche, beau et bon nombre de gens auraient aimé faire sa connaissance. Mais chacun le fuyait comme la peste après une courte période.
Ainsi, il se rendait ce matin-là au temple parce qu’une vie sans relations affectives était un enfer. Il désirait ardemment trouver un ami, ou une compagne même s’il était incapable de poursuivre une relation dans le temps, qu’elle soit amicale ou amoureuse.
Quand il arriva au temple, il croisa un groupe de gens qui en sortaient et, parmi ceux-ci, se trouvait une très belle jeune femme dont la vue le troubla profondément. Il eut le coup de foudre. Il n’avait plus envie d’entrer dans le temple et fit demi-tour pour la suivre. Malheureusement, un autre groupe de personnes pénétrait à ce moment-là dans le temple, et David eut beaucoup de mal à s’extirper de la foule. Quand il parvint à en sortir, la jeune femme avait disparu.
Il la chercha partout pendant une heure mais ne put la trouver. Il rentra alors chez lui, le cœur rempli de cette image magnifique. Cette nuit-là, comme la suivante, il ne put trouver le sommeil. La troisième nuit, il vit en rêve un magnifique vieillard portant une barbe blanche qui lui dit : « Si tu veux la rencontrer, va aujourd’hui au marché oriental. » Il faisait encore nuit, mais il n’avait pas envie de se rendormir. Il se leva et attendit jusqu’à midi avant de se lancer à la recherche de la femme.
Quand il arriva au marché, il y avait peu de monde. Il était encore trop tôt, aussi il entra dans une librairie et se mit à regarder autour de lui. Soudain, en levant la tête, il aperçut un tableau accroché au mur représentant une très belle jeune femme. C’était le portrait de celle qu’il avait croisé trois jours auparavant au temple. Les mêmes yeux, le même nez, la même bouche. Dans son rêve, le vieil homme lui avait dit qu’il la rencontrerait au marché. Peut-être faisait t-il allusion à ce portrait et à rien d’autre. « Peut-être que je ne mérite qu’une image, et non une personne réelle », se dit-il. Aussi, au lieu d’acheter des livres, il dépensa tout son argent avec lui et l’accrocha sur le mur de sa chambre à l’université.
C’était un solitaire. Il n’avait pas d’amis. La plupart du temps, il évitait de se rendre à la cafétéria du campus. Il préférait rester dans sa chambre et manger des plats instantanés. Ce jour-là, il prépara deux bols de nouilles, et deux paires de baguettes chinoises. Vous l’avez sans doute compris, David est asiatique. Le second bol était pour la femme du tableau. Il savourait ses nouilles et, de temps à autre, levait la tête et l’invitait à venir partager son repas.
Certains, incapables de communiquer avec d’autres êtres humains, choisissent un chat ou un chien pour leur tenir compagnie. Ils en prennent soin et peuvent ainsi déverser sur eux leur trop-plein d’affection. Ils leurs achètent les aliments les plus chers. Il leur est beaucoup plus facile d’aimer un chat ou un chien qu’un être humain, parce que les animaux ne sont jamais source de conflit. Ils ne réagissent même pas si on leur dit quelque chose de méchant. David faisait partie cette catégorie de gens. Il pouvait vivre en paix avec la femme du portrait, mais si elle avait été présente en chair et en os, il aurait sans doute été incapable de la supporter plus de vingt-quatre heures.
Un jour, il ne put finir son bol. La vie lui semblait dépourvue de toute saveur. Il en avait plus qu’assez. A ce moment-là, il leva les yeux sur le tableau. Il s’apprêtait à dire « De toute façon, la vie n’a aucun sens », quand il vit la jeune femme ciller en lui souriant. Il en fut abasourdi. Il crut qu’il s’agissait d’un rêve. Il se frotta les yeux et regarda de nouveau le portrait. Elle était toujours là, parfaitement immobile. Quelques jours plus tard, il vit à nouveau la jeune femme faire la même chose. Il en fut très surpris. Il continua à la regarder et, brusquement, elle devint une personne réelle et sortit du tableau. Elle s’appelait Angelina, parce qu’elle venait du ciel. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point David était heureux. Il était au paradis. Etre l’ami d’une jeune fille aussi belle, que pouvait-on rêver de plus merveilleux ?
Mais vous avez sans doute deviné la fin de l’histoire. Le jeune homme était incapable d’être heureux, pas même avec une personne aussi délicieuse et gentille qu’Angelina, et trois ou quatre mois plus tard, elle le quitta. Il était impossible de vivre avec une personne comme David. Un matin, il se réveilla et trouva un mot sur son bureau : « David, il est impossible de vivre avec toi. Tu es trop égoïste, tu es incapable d’écouter qui que ce soit. Tu es intelligent, beau et riche, mais tu es incapable d’entretenir une relation durable avec un autre être humain. » Ce matin-là, David voulut mettre fin à ses jours. Il se dit que s’il n’était même pas capable de vivre avec une compagne aussi douce et aussi belle, c’est qu’il ne valait rien. Il se mit à chercher un bout de corde pour se pendre.
En France, chaque année, douze mille personnes se suicident, soit environ trente-trois chaque jour. C’est beaucoup trop. David est lui aussi suicidaire, et il attends que vous veniez à sons secours. Aux Etats-Unis et en Europe, les taux de suicides sont très similaires. Les gens sont en proie au désespoir. Pour bon nombre d’entre nous, la communication est devenue impossible et la vie n’a plus de sens.
(la suite dans quelques jours)
Par Thich Nath Hanh
Voici l’histoire d’un jeune homme prénommé David, très beau et intelligent, né dans une famille riche, qui avait tout pour réussir. Mais il n’aimait pas la vie. Il était incapable d’être heureux. Il avait beaucoup de problèmes avec ses parents, avec ses frères et sa sœur. Il ne savait pas communiquer. C’était un être très égoïste, et il accusait son père, sa mère, sa sœur et ses frères d’être responsables de son malheur. Il souffrait beaucoup, mais sa douleur n’était pas due à l’hostilité des autres. Elle était le fruit de son incapacité d’aimer et de comprendre autrui. Il pouvait nouer des relations amicales pendant quelques jours, mais ses nouvelles connaissances l’abandonnaient bientôt parce qu’il était invivable. Il était très arrogant, égocentrique et dénué de compréhension et de compassion.
Un jour, il se rendit dans un temple bouddhiste, non pour écouter un discours sur le Dharma – c’était le dernier de ses soucis - mais dans l’espoir de faire de nouvelles rencontres, car il se sentait désespérément seul. Jusque-là, personne n’avait pu rester son ami. Il était riche, beau et bon nombre de gens auraient aimé faire sa connaissance. Mais chacun le fuyait comme la peste après une courte période.
Ainsi, il se rendait ce matin-là au temple parce qu’une vie sans relations affectives était un enfer. Il désirait ardemment trouver un ami, ou une compagne même s’il était incapable de poursuivre une relation dans le temps, qu’elle soit amicale ou amoureuse.
Quand il arriva au temple, il croisa un groupe de gens qui en sortaient et, parmi ceux-ci, se trouvait une très belle jeune femme dont la vue le troubla profondément. Il eut le coup de foudre. Il n’avait plus envie d’entrer dans le temple et fit demi-tour pour la suivre. Malheureusement, un autre groupe de personnes pénétrait à ce moment-là dans le temple, et David eut beaucoup de mal à s’extirper de la foule. Quand il parvint à en sortir, la jeune femme avait disparu.
Il la chercha partout pendant une heure mais ne put la trouver. Il rentra alors chez lui, le cœur rempli de cette image magnifique. Cette nuit-là, comme la suivante, il ne put trouver le sommeil. La troisième nuit, il vit en rêve un magnifique vieillard portant une barbe blanche qui lui dit : « Si tu veux la rencontrer, va aujourd’hui au marché oriental. » Il faisait encore nuit, mais il n’avait pas envie de se rendormir. Il se leva et attendit jusqu’à midi avant de se lancer à la recherche de la femme.
Quand il arriva au marché, il y avait peu de monde. Il était encore trop tôt, aussi il entra dans une librairie et se mit à regarder autour de lui. Soudain, en levant la tête, il aperçut un tableau accroché au mur représentant une très belle jeune femme. C’était le portrait de celle qu’il avait croisé trois jours auparavant au temple. Les mêmes yeux, le même nez, la même bouche. Dans son rêve, le vieil homme lui avait dit qu’il la rencontrerait au marché. Peut-être faisait t-il allusion à ce portrait et à rien d’autre. « Peut-être que je ne mérite qu’une image, et non une personne réelle », se dit-il. Aussi, au lieu d’acheter des livres, il dépensa tout son argent avec lui et l’accrocha sur le mur de sa chambre à l’université.
C’était un solitaire. Il n’avait pas d’amis. La plupart du temps, il évitait de se rendre à la cafétéria du campus. Il préférait rester dans sa chambre et manger des plats instantanés. Ce jour-là, il prépara deux bols de nouilles, et deux paires de baguettes chinoises. Vous l’avez sans doute compris, David est asiatique. Le second bol était pour la femme du tableau. Il savourait ses nouilles et, de temps à autre, levait la tête et l’invitait à venir partager son repas.
Certains, incapables de communiquer avec d’autres êtres humains, choisissent un chat ou un chien pour leur tenir compagnie. Ils en prennent soin et peuvent ainsi déverser sur eux leur trop-plein d’affection. Ils leurs achètent les aliments les plus chers. Il leur est beaucoup plus facile d’aimer un chat ou un chien qu’un être humain, parce que les animaux ne sont jamais source de conflit. Ils ne réagissent même pas si on leur dit quelque chose de méchant. David faisait partie cette catégorie de gens. Il pouvait vivre en paix avec la femme du portrait, mais si elle avait été présente en chair et en os, il aurait sans doute été incapable de la supporter plus de vingt-quatre heures.
Un jour, il ne put finir son bol. La vie lui semblait dépourvue de toute saveur. Il en avait plus qu’assez. A ce moment-là, il leva les yeux sur le tableau. Il s’apprêtait à dire « De toute façon, la vie n’a aucun sens », quand il vit la jeune femme ciller en lui souriant. Il en fut abasourdi. Il crut qu’il s’agissait d’un rêve. Il se frotta les yeux et regarda de nouveau le portrait. Elle était toujours là, parfaitement immobile. Quelques jours plus tard, il vit à nouveau la jeune femme faire la même chose. Il en fut très surpris. Il continua à la regarder et, brusquement, elle devint une personne réelle et sortit du tableau. Elle s’appelait Angelina, parce qu’elle venait du ciel. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point David était heureux. Il était au paradis. Etre l’ami d’une jeune fille aussi belle, que pouvait-on rêver de plus merveilleux ?
Mais vous avez sans doute deviné la fin de l’histoire. Le jeune homme était incapable d’être heureux, pas même avec une personne aussi délicieuse et gentille qu’Angelina, et trois ou quatre mois plus tard, elle le quitta. Il était impossible de vivre avec une personne comme David. Un matin, il se réveilla et trouva un mot sur son bureau : « David, il est impossible de vivre avec toi. Tu es trop égoïste, tu es incapable d’écouter qui que ce soit. Tu es intelligent, beau et riche, mais tu es incapable d’entretenir une relation durable avec un autre être humain. » Ce matin-là, David voulut mettre fin à ses jours. Il se dit que s’il n’était même pas capable de vivre avec une compagne aussi douce et aussi belle, c’est qu’il ne valait rien. Il se mit à chercher un bout de corde pour se pendre.
En France, chaque année, douze mille personnes se suicident, soit environ trente-trois chaque jour. C’est beaucoup trop. David est lui aussi suicidaire, et il attends que vous veniez à sons secours. Aux Etats-Unis et en Europe, les taux de suicides sont très similaires. Les gens sont en proie au désespoir. Pour bon nombre d’entre nous, la communication est devenue impossible et la vie n’a plus de sens.
(la suite dans quelques jours)