En effet, certains alcooliques et toxicomanes établissent une équation directe mais erronée
entre le temps depuis lequel ils ont mis fin à leur consommation et la sobriété, alors que
manifestement ils demeurent encore aux prises avec d'importantes perturbations affectives.
Par contre, d'autres membres définissent l'état actuel de leur condition par l'abstinence et ce,
malgré l'absence de toute consommation depuis plus de dix ans; les raisons invoquées par ces
derniers sont à l'effet de leurs difficultés résiduelles dans la gestion de leur vie affective, de
sorte qu'ils ne peuvent décrire leur condition de cheminement comme répondant à leurs
critères personnels de la sobriété. L'utilisation différente et parfois aléatoire de mêmes termes
pour décrire une telle différence dans le processus de rétablissement suggère à coup sûr un
besoin d'éclaircissement.
De plus, un autre aspect de cette nomenclature ajoute à la confusion. La définition même
du terme sobriété définit la présence d'une conduite caractérisée par une certaine modération,
une réserve, de sorte qu'un alcoolique ou un toxicomane qui maintient une consommation
modérée pourrait tout aussi bien clamer sa sobriété, ce qui lui attirerait probablement toute
une pléthore de remarques de la part de ses pairs, qui auraient tôt fait de lui rappeler les deux
conditions de son appartenance au mouvement que sont l'arrêt de la consommation de toute
substance ainsi que la volonté sincère et honnête de s'en sortir. L'abstinence doit donc faire
partie en tout temps et tout lieu du credo du membre et ce pour sa vie durant. Contrairement
au contenu de sa définition, la sobriété retient donc une mention implicite d'abstinence,
condition sine qua non d'accession ultérieure à la sérénité.
Se pourrait-il que les concepts de l'abstinence et de la sobriété possèdent en commun
l'arrêt puis le maintien de la consommation de toute substance, d'une part, et que d'autre part
le passage de l'abstinence à la sobriété, eu égard à la définition rigoureuse de cette dernière,
devienne alors lié au développement de la capacité d'une saine gestion de sa vie affective? En
d'autres termes, se pourrait-il qu'il faille concevoir l'abstinence comme la condition première
de l'accession aux affects (état de ce qui est ressenti), et la sobriété comme l'acquisition d'un
processus de gestion efficace d'une relation retrouvée avec sa vie affective? Une réponse
positive indiquerait à coup sûr une parfaite correspondance entre la sobriété et le processus
d'acquisition de son identité, compte tenu de l'importance de la gestion des affects que retient
ce concept. Voilà la démonstration que tente de faire cet article, à la lumière des
connaissances proposées par la psychologie.